Ville de Metz
Le très grand et très humble
Maréchal FABERT
Marquis d'Esternay
Fils de METZ
Fils de FRANCE
Lorraine
Famille FABERT

 

Le Maréchal FABERT, qui fait tant d'honneur à son berceau naquit à Metz le 11 octobre 1599. Son bisaïeul lsaïe FABERT était Seigneur de Xonville, dans l'ancien canton de Gorze en Lorraine, mais habitait Strasbourg vers le milieu du XVIe siècle ; son grand-père, Dominique FABERT - Mangin selon le diminutif lorrain traditionnel - avait été imprimeur patenté à Strasbourg avant de se fixer à, Metz après un bref séjour à, Nancy. Quant au père du futur maréchal, Abraham FARERT, premier du nom, il était, depuis 1595 l'imprimeur-juré de la cité de Metz. On tient pour un chef-d'oeuvre de la typographie le Missel richement illustré et décoré de lettrines qu'il imprima en 1597 pour l'Eglise de Metz, mais il nous a laissé surtout ce magnifique "reportage'' : « Le voyage du Roy à Metz ; ensemble des signes de rejouyssance faits par les Habitants pour honorer l'entrée de Sa majestés".

C'est une relation illustrée du séjour qu'Henri IV fit à Metz, avec la reine Marie, du 14 mars au 1er avril 1603 Ce dernier ouvrage passe pour l'une des gloires de l'imprimerie française du XVIIe siècle naissant : il parut en 1610 et le souhait qui le termine le situe avant ce fatal 14 mai qui vit si misérablement périr le bon roi.

Du "Voyage du Roy", Abraham FABERT avait reçu commande de la Municipalité, a forfait, dés le 21 octobre 1603.

L'ouvrage ne vit le Jour que sept ans plus tard ; la Ville de Metz en eut telle satisfaction cependant qu'en date du 26 juin 1610, voulant assurer « la survivance de son office d'Imprimeur-juré de cette ville », elle décidait d'accorder à « Abraham FABERT son fils pour succéder audit estat et en jouyr après sa mort, aux gages, honneurs, profficts et emolumens qui en despendent', étant "accordé le présent tesmoignage et notiffication sous le scel comung de la Cité et seing du Secrétaire greffier » .

Cette pièce capitale, demeurée inédite, est toujours conservée dans son original aux Archives de Moselle ; elle lève toute hésitation : le futur maréchal fut bel et bien destiné tout d'abord au noble métier d'imprimeur. La volonté paternelle eut pour écho une filiale soumission - car l'homme qui, par la suite, allait si bien savoir commander avait, comme il sied, appris d'abord à obéir.

Nous nous représentons le garçonnet dans sa onzième année, campé devant la casse, le composteur en main, dans une attitude qui n'a pas changé jusqu'aux typographes d'aujourd’hui. C'est une activité qui, sans autoriser le rêve, que sanctionnent coquilles et bourdons, semble y induire quelquefois - et nous saurons bientôt à quoi rêvait FABERT au sortir de l'enfance.

Quelques année plus tard, lorsque sort des presses l'édition si impatiemment attendue des "Coutumes générales de la Ville de Metz et Pays messin" la firme indique sans équivoque qu'elles ont été imprimées "A Metz par A. FABERT le jeune, l'an 1613" Composé en elzévir d'un gros oeil, la page de titre habillée d'un passe-partout, les suivantes encadrées d'un filet maigre baillant aux encoignures, avec quelques frontispices en vignettes, quelques lettrines et culs-de-lampes l'ouvrage n'a rien qui soit au-dessus des moyens d'un jeune typographe. L'impression elle-même, effectuée sur presse à bras avec la technique conservée pour la presse à épreuves, s'accommodait, elle aussi, d'une main juvénile.

A nos yeux, aucun doute : l'édition 1613 des "Coutumes'' est bien le chef-d'oeuvre typographique comme aussi le testament professionnel du futur maréchal de France.

Car, en cette même année 1613 à Metz il était survenu autre chose encore : notre jeune maître-imprimeur avait eu l'avantage de commander une troupe de tout jeunes gens de son âge sous les yeux du gouverneur de Metz, duc d'Epernon, en l'honneur du marquis de la Valette, son fils, qui entrait lui aussi en survivance de la charge paternelle, Tout un pan des disposition, et connaissances du jeune FABERT s'y trouve révélé à ce détail qu'il avait, en outre, enrichi le feu d'artifice traditionnel de pétards et de lance à feu de si belle réussite que "le jeune artiste eut tout l'honneur de son invention ».

Dix ans avaient passé depuis que, lors du Voyage d'Henri IV.

FABERT, tout Jeune enfant, avait fait ses débuts militaires sous les couleurs de sa ville natale, "vestu de soye, satin, taffetas rayé d'argent, le soulier blanc, les attaches blanches, le bonnet de veloux noir à courdon d'argent" et qu'il avait défilé, bon dernier il est vrai, sous les yeux du roi et de la reine, dans la compagnie des six-vingts "jeunes fantassins de ville qui marcherait sous leur propre drapeau au devant de Leurs Majestés'' à travers la place de Change "jusqu' au carrefour de Fournelrue''

N'en doutons plus : voilà dix ans qu'il rêve de la carrière des armes ; c'est à l'art militaire que pensait le garçon tout en levant la lettre dans l'atelier paternel. Et sa mère, la digne Evêchoise Anne des Bernards d'ALAUMONT, qui si Joliment troussa ses premiers uniformes, comment ne pas croire qu'elle y devint sa confidente et un peu sa complice ? Mais de son père même, du premier Abraham FABERT, ne savons-nous pas ce maître imprimeur mi-parti de soldat avait organisé en 1591 une levée d'hommes et d'artillerie qu'il mena sous Verdun au secours d'Henri IV ? Que va compétence éprouvée en matière de pyrotechnie lui valait, dans la cité de Metz, l'importance charge de commissaire ordinaire de l'artillerie ? Qu'il était seigneur de Moulins et de sa maison forte ? Que déjà, il avait voué à la carrière des Armes son premier-né, François, de dix ans l'aîné du futur maréchal et qui, Contrôleur de l'Artillerie pour les Trois-Evêchés, se distinguera aux sièges de La Rochelle, Montauban, Nancy et Trèves ?

En fait, FABERT était né et avait grandi dans un milieu déjà tout pénétré de l'honneur militaire. Il arrive seulement en 1613 que les dés sont jetés : le duc d'Epernon ayant félicité le jeune garçon, celui-ci va tenter sa chance ; il porte ses quatorze printemps aux Gardes françaises, dont deux compagnies tiennent garnison à Metz, et s'y fait agréer comme cadet. Le lieu- tenant du Roi lui-même se chargera de régulariser la situation et d'obtenir le consentement paternel : pour rien au monde nous ne croirons que celui-ci eût été bien difficile à obtenir...

Nous retrouverons FABERT en 1618 pour ses 19 ans, enseigne au régiment de Piémont, c'est-à-dire porte-drapeau d'une compagnie ; et c'est à Verdun, au pays maternel, qu'il a pris garnison. L'an suivant, il est provisoirement capitaine au régiment que d'Epernon levait pour le service quelque peu subversif de la Reine-Mère, Marie de Médicis en résidence forcée à Blois. FABERT, en ces temps ou un homme de modeste extraction doit se concilier, au moins en ses débuts, l'appui d'un puissant du jour, s'est engagé à la famille d'Epernon ; et contre vents et marées il lui restera fidèle, en un temps fertile en orages politiques dont les contrecoups ne manqueront pas d'être ressentis par le jeune officier.

Château FABERT à Moulins les Metz.

La carrière de FABERT en sera longtemps gênée d'innombrables traverses, qui le jettent parfois dans un espèce de découragement irrité. Son avancement fut extrêmement laborieux. Mais il est temps d'essayer de préciser le caractère de l'homme que l'habitude de le voir régner, impassible, au coeur de la cité, peut inciter à croire tout d'une pièce et sans nerfs.

Et déjà la phrase célèbre qu'on voit au piédestal de sa statue, sait-on bien que, recueillie par son premier biographe, Courtilz de Sandras, ce n'est qu'une répartie féroce de FABERT à sa femme et à ses intimes, un jour que ceux-ci lui reprochaient de dépouiller les siens pour équiper à ses frais les fossés de Sedan ?

Il y en eu d'autre de la même veine, drues de sens et de forme, qu'on aimerait voir citer quelquefois comme achevant de mettre en lumière ce magnifique échantillon de Français. Celle-ci par exemple : "Je ne saurais être chrétien sans croire que l'on ne peut l'être que mauvais, lorsqu'on bannit la charité". Ou celle encore par quoi, sollicité de postuler une part directe au gouvernement du pays, il déclarait avec le genre d'humour que promet son visage, estimer que "les charges sont des servitudes qui obligent ceux qui les possèdent à faire ce pourquoi elles sont établies". Il professait encore, en homme qui tient commerce habituel avec le texte évangélique, qu'"on se doit plutôt croire un serviteur public que le maître de ceux de qui il faut qu'on prenne soin". Pince-sans-rire quand l'occasion s'en offre et comme le montre si bien telle lettre à Mazarin (1653) : <<Je sais à mes dépens que pour tirer de l'argent de Messieurs des Finances, il faut avoir quelque chose de plus que le droit de leur en demander, et être fait d'autre manière que moi, qui fais en toutes choses tout du mieux que je puis ».

Une notice biographique du Maréchal FABERT, il va de soi qu'elle sera militaire avant tout. Mais ce serait trahir le héros que de ne pas poser en évidente, avant de poursuivre, ce trait dominant : sa profonde humilité. La chronologie deviendra ce qu'elle pourra : nous allons nous y soustraire pour citer longuement une lettre étonnante écrite à Arnauld d'Andilly alors que celui-ci tentait avec insistance de pousser FABERT aux ''affaires'' ; elle montre au plus intime l'âme de l'illustre Messin cependant parvenu au faite des honneurs : « Jamais je n'ai eu de nouvel emploi que je n'aie tremblé de crainte de m'en acquitter mal. J'ai cru, commençant une charge, que j'y ferais des fautes parce que je n'ai pas les qualités qui y étaient nécessaires ni une expérience, qui fait que l'on s'échappe de la plupart des choses que l'on a à finir. J'ai vu ce que chacun demande comme une élévation pour moi un grand sujet de craindre de tomber dans la honte, n'en croyant pas de plus grande que celle de se charger d'une chose de laquelle on ne peut s'acquitter, et d'avoir de cela pour témoins perpétuels ceux avec lesquels vous avez à vivre. Je crois encore qu'on à un compte à rendre à Dieu bien grand, d'empêcher l'avantage du public en empêchant un homme qui le ferait d'avoir la place que l'on veut occuper indignement ».

Pour mesurer la profondeur d'une pareille modestie, il faut considérer combien FABERT excella dans ses charges, et de quelle magnifique culture générale il avait d'ailleurs doté son éprit... Paul Renaudin, citant les mémoires inédits de M. de Termes, opus fait connaître que « Dès son enfance il aima infiniment la lecture... Il voulait savoir comment les choses se faisaient, et pourquoi Dieu lui avait donné tous les talents nécessaires pour cela, un esprit vif, perçant et pénétrant, un jugement solide, bon, net... une mémoire excellente, beaucoup d'application »'. FABERT, féru de mathématiques et d'histoire, curieux aussi de philosophie, de religion, voire d'alchimie et d'astrologie, avait appris en outre quatre langues - sans compter le patois messin dont - folkloriste bien avant que le nom en eut été forgé- il publia et peut-être même rédigea le texte le plus ancien, cette "Grosse enwaraye messine'' si prisée des bibliophiles.

Pareillement instruit, FABERT causait volontiers et parlait bien ; il s'en amusait tout le premier car, disait-il, « Il est plus agréable de dire des sottises que d'en entendre » - ce qui était simple réaction de sa modestie et crainte de s'en laisser accroire. Mais il avait commerce avec des âmes capables de percer ses défenses et qu'on peut prendre à référence : Saint Vincent de Paul put écrire de lui : c'est une personne qui m'est en singulière considération devant Dieu'' ; la Reine Anne d'Autriche l'appela "le glus grand homme de bien du Royaume'', et Arnauld d'Andllly, le solitaire de Port-Royal, qui l'avait connu aux Armées et put croire l'avoir gagna au jansénisme, disait l' »avoir toujours regardé comme une personne qui fait grand honneur à un siècle tel qu'est le nôtre ».

Ce siècle était un siècle rude, et Fabert qu'un jaloux put brocarder un jour du surnom de "chanoine'', put se montrer capable de la pire violence. On n'en connaît qu'un exemple, encore faut-il le citer, pour la probité du portrait entrepris, comme un jalon dans la splendide ascension morale du héros messin.

FABERT avait alors vingt-trois ans. C'était après la prise de Royan, en 1622 ; il avait sauvé le duc de la Valette, et celui-ci de promettre au jeune homme, qui tant le désirait, le commandement définitif d'une compagnie ; par faveur, la charge est donnée pourtant à Conseil, l'écuyer de la Duchesse.

FABERT, frustré, et ce n'est pas la première fois, prend une froide colère s'informe, apprend que la Duchesse fait route vers Metz accompagnée de l'écuyer, pique des deux, les rejoint à Pont-à-Mousson, provoque Conseil, en reçoit une blessure mais lui passe son épée au travers du corps et l'étend raide mort. .

Caché à Pagny-sur-Moselle, on résidait naguère Dominique Fabert - son grand-père Mangin - il y apprend que son affaire tourne au plus mal ; son parti est tôt pris : par la rive gauche de la Moselle, il gagne la Terre de Gorze puis le Pays Messin et se jette à Moulins, dans le château paternel "qui a un bon fossé à fond de cuve, une fausse brave et six tours pour le défendre". Déjà le duc fait préparer du canon pour réduire le forcené, lorsque la duchesse intercède et lui obtient sa grâce. Le vieux duc d'Epernon achève de calmer son fils : voici notre héros sergent-major du vieux style au régiment de Rambures.

Sa conception du rôle moral et social de l'officier de troupe sera justement celle que Lyautey définira plus tard : FABERT mérite rapidement à Rambures qu'on le cite comme un régiment modèle - et de s'affairer à en réconcilier les officiers jusque-là 'divisés en coteries. Avec Rambures, il décidera du succès de l'affaire du Pas de Suse contre le duc de Savoie ; puis devant Privas récoltera une seconde blessure. Et rentrera à Metz, malade de mélancolie, après avoir eu des "raisons'' avec Louis XIII en personne... N'y tenant plus, il court bientôt rejoindre, devant Pignerol, le régiment de Rambures ; il s'y distingue comme à l'accoutumée, reconquiert les bonnes grâces du Roi, s'en accommode cette fois et, déjà âgé de 32 ans, le voilà enfin capitaine.

Pourrons-nous suivre pas à pas FABERT, au long de sa carrière ? On ne le tentera guère que pour glaner quelque touche en plus pour son portrait, mais surtout évoquer au passage ses activités sous le ciel natal. Marquons donc qu'entre temps FABERT rééquipe de fond en comble les Forges ducales de Moyeuvre, dont son père était admodiataire. Puis, en 1631 FABERT épouse CLAUDE DE CLEVANT, fille du capitaine-prévôt et gruyer de Pont-à-Mousson, seigneur de Clévant, Jouy, Pagny et Vandières. Un mariage tout de raison qui fera un heureux mariage.

Et voilà que l'activité militaire de FABERT va pouvoir se déployer au pays. .

Le duc régnant de Lorraine, Charles IV en ce temps-là, est tout l'opposé de FABERT. Avec l'historien André Gam, retenons qu'il manquait de certaines qualités élémentaires de l'homme privé'' et notre auteur insiste sur sa "permanente déloyauté". Le duc multiplie les intrigues, les imprudences, qu'il aggrave contre la France d'appels à l'étranger. Richelieu, qu'il irrite, appuie les revendications de l'évêque de Metz sur Moyenvic que celui-ci veut réintégrer dans son temporel - et Charles IV de lier partie avec les Impériaux. C'est FABERT qui plaidera de la prise de la petite place.

Nous retrouverons le soldat messin au siège de Trêves au siège de Nancy : lorsque la capitale des ducs devra être soumise à l'occupation des forces de France, FABERT assurera la police avec un doigté profitable à tous. FABERT est au siège de Bitche, au siège de la Mothe ; il guerroie sous Thionville, alors forteresse espagnole - il s'y fait même surprendre déguisé en paysan, fort occupé à recueillir des renseignements, et ne sauva sa tête que de justesse.

Le voilà affecté au commandement de la garnison de Metz et désolé de ce qu'il s'ensuit d'inaction relative. On l'en relève, mais pour tenir, dans la guerre de Trente Ans, la charge d'aide de camp de l'armée que vient de former le Cardinal de la Valette, curieux personnage, archevèque de Toulouse depuis 1614, jamais ordonné, toujours soldat. FABERT y anticipe les fonctions de l'officier d'état-major, cumulant les besognes de l'emploi avec le défi du risque dans les sapes et sur la brèche ; on le surnomme "quêteur de coups de mousquet''.

Le 24 juillet 1635 l'Armée doit opérer sur le Rhin et en Alsace ; elle quitte Pont-à-Mousson et marche, par Sarrebruck et Hombourg, sur Mayence, qu'on dégage et qu'on ravitaille. Mais c'est ensuite une pénible retraite, talonnée par les Croates et les Hongrois, et de furieuses actions d'arrière-garde, sous Vaudrevange, puis le repli sur la Nied, sur la Seille, à Magny d'ou FABERT est dépêché à Metz pour mener à bien le ravitaillement de l'armée affamée. ' Et voici les forces de l'Autrichien Gallas, que secondent les troupes du duc de Lorraine, courant aux chausses de l'armée française, s'emparant de Sarrebruck, de Saint-Avold, s'accrochant à Dieuze, ravageant le Pays Messin. Le moral du ban et de l'arrière-ban, convoqués en juillet 1635 ; sur l'ordre de Louis XIII, s'avère détestable : FABERT y remédiera, obtenant de la ville de Metz l'avance de 100.000 livres qui permettra d'assurer une solde. L'espoir bientôt change de camp : Gallas, qui s'était retranché près de Maizières-les-vic, dans la forêt de Réchicourt, appréhende les approches du "général Hiver", pâtit des coups de main de Turenne ; surveillé de près par FABERT qui patrouille sur ses talons, il regagne l'Alsace, laissant les chemins encombrés de morts et le pays infesté par la peste.

FABERT, secondé par sa femme, se fait alors la providence de Metz, menacée de disette et d'épidémie, puis mène à bien le ravitaillement de Colmar, Sélestat, Benfeld, Haguenau.

En juin 1636 FABERT en découd furieusement en d'exaltants coups de main contre les cavaliers croates, qui assure le succès du siège de Saverne. Ce sera enfin, au mots de novembre, la brillante action de Saint-Jean-de Losne, que le duc de Lorraine assiège avec l'aide massive des forces de Gallas : leur défaite, oeuvre de FABERT au premier chef, sauve la Bourgogne de l'invasion et détermine, le 12 janvier 1637 la fin glorieuse de la campagne. Sublet de Noyers, secrétaire d'Etat à la Guerre, dans un rapport à Richelieu met à l'ordre du jour "M. FABERT, que je souhaiterais pouvoir être multiplié en cent corps afin qu'il puisse utilement servir partout".

Le mot de Sublet de Noyers en appelle un autre. Deux ans plus tard, FABERT, devant la citadelle de Turin, est grièvement blessé de plusieurs coups de feu à la cuisse. Ce Messin avait souvenance du grand Ambroise PARE au siège de Metz, ennemi déclaré des chirurgiens trop empressés à trancher et à cautériser en cas d'arquebusade. A ceux qui, en raison d'une forte inflammation, viennent à son chevet dans l'intention avouée de l'amputer de la cuisse, FABERT répond, goguenard : "Qui aura le gigot aura le reste : je ne tiens point à mourir par pièces". Par pièces détachées, aurait-il précise de nos jours : mais le mot est aussi bien venu. Le blessa imagine certaine compresses à la crème fraîche - il a toujours été curieux de "chimie" et vous verrez qu'il fait ici la découverte empirique des vertus des principes lactique - il assainit la plaie, et fait si bien qu'il quitte son lit sur ses deux jambes, en pleine convalescence, après 21 Jours.

Le Cardinal de la Valette meurt peu après, aux abords de Turin. FABERT y aurait perdu son protecteur si Richelieu ne lui offrait "la même protection, la même justice, la même affection". Le héros messin n'en usera que pour enrichir sa fidélité : s'étant entremis pour laver aux yeux du redoutable ministre le vieux duc d'Epernon, qu'on a noirci près de lui et qui s'éteint en Touraine, il a la joie de lui porter son pardon très peu de jours avant la mort. Au reste, FABERT possède à la fois "la confiance du Cardinal et l'intimité du Roi'' : il est établi que plus tard c'est lui qui fit échouer le complot de Cinq-Mars.

A la reprise d'Arras, le 8 août 1640 entreprise sur ses conseils, FABERT bien que n'ayant point d'emploi actif dans les armées du siège, joua un rôle si important que Louis XIII, à la nouvelle de la capitulation, dit publiquement en le désignant à son entourage : "Sans ce brave homme là je ne serais pas maître d'Arras''. FABERT, une fois encore, avait risqué sa vie en se glissant dans la place assiégée, sous le vêtement d'un paysan. Et ici, l'on a plaisir à relever une étonnante coïncidence : c'est dans la petite ville picarde de Doullens, ou FABERT avait été prendre langue avec Richelieu, qu'il réussit à mettre d'accord les trois maréchaux en pleine divergence - à Doullens, où l'on devait voir éclore, trois siècles plus tard autour de Foch, la "coordination'' salvatrice du 16 mai 1918. Il est des lieux prédestinés.

(FABERT, enfin, par brevet du 21 septembre 1642, reçoit le gouvernement de Sedan. C'est un nom qui sonne mal aujourd'hui aux oreilles messines et nos anciens, lorsqu'il voilèrent de crêpe, aux funestes jours d'octobre 1870 la statue du maréchal, réunissaient dans un même deuil et leur ville et Sedan.

C'est FABERT qui avait fait française de fait et de coeur la petite principauté. Il y resta plus de vingt ans, ne relevant que du Roi, nanti de pleins pouvoirs dont il n'usa jamais que pour résoudre les difficultés le plus souvent par la persuasion, mais fort capable pourtant de faire trancher, s'il l'eût fallu, le col aux factieux car, avait-il dit froidement : d'un peu de sang répandu à propos en épargne beaucoup. Il s'attacha à faire régner la paix religieuse en des circonstances délicates. Quand Richelieu meurt, quelques semaines avant son installation à.

Sedan, Mazarin lui succède. FABERT, qui n'aime pas Mazarin, le secondera avec le même zèle qu'il a mis à servir Richelieu, ayant discerné sa passion du salut de l'Etat. Le Roi meurt à son tour au mois de mai suivant ; Mazarin et la Reine régente appuient FABERT de toute leur autorité. Lui s'affaire à perfectionner, fût-ce de ses deniers', les défenses de la ville ; on y travaille quinze ans durant sans obérer le Trésor ni les habitants, et pourtant Louis XIV aimera constater en 1661 "qu'il n'y avait point de place plus forte et meilleure en Europe". Le Gouverneur institue un mode d'enrôlement si respectueux de la liberté et communique tant d'intégrité au comportement des cadres, que le régiment qu'il lève se trouve en avance de plus d'un siècle sur les réformes qui finiront par s'imposer un jour.

C'est pareillement en avance sur son temps que FABERT propose des réformes et la suppression des douanes intérieure, après probantes expériences dans la généralité de Châlons. Il a été, en 1645 appelés au Conseil du Roi. Investi d'un pouvoir étendu au Sedanais, à la Champagne et à la Lorraine, FABERT administrateur et politique, se sent repris par la nostalgie de la vie militaire ; toujours payant de sa personne, il va se faire cueillir par des cavaliers espagnols, est interné au port de Roses dont il était venu faire le siège... et prisonnier, ce diable d'homme trouvera le moyen d'en hâter la capitulation.

C'est en 1651 que va sonner pour FABERT une première revanche de toutes les lenteurs dont avait été grevée sa carrière : le voilà lieutenant général de l'armée des Flandres, et c'est le plus haut grade militaire. Mais la fortune va désormais multiplier ses sourires à l'homme arrivé ; en 1653, FABERT est tout prés de succéder à Fouquet dans son poste de surintendant des Finances. L'Armée pourtant le gardera : en 1654 commandant entre Aisne et Meuse, Fabert y rassemble des contingents de Metz, de Toul et du Barrois, puis pousse au pays de Liége une expédition que les circonstance lui permettront de faire plus diplomatique que militaire, au plus grand profit des parties en cause. La même année, il amène à la capitulation la puissante citadelle de Stenay, dont Condé a fait sa meilleure place ; un jeune lieutenant au régiment de Bourgogne y fait ses premières armes, dans l'ombre de FABERT, et c 'est Vauban; il est à bonne école : FABERT invente là parallèles et cavaliers de tranchée, payant de sa personne au point que Mazarin en écrit à la Reine : "I1 y a trois jours que M. de FABERT n'a pas reposé une heure, et c'est un miracle qu'il n'ait pas encore été blessé, ne bougeant des mines et des lieux les plus périlleux, sans que les ordre du roi et nos continuelles prières puissent rien gagner là-dessus sur son esprit".

Voici enfin, au 28 juin 1658 FABERT élevé à la dignité de Maréchal de France. Une délégation s'en viendra tout exprès de Metz lui porter les facilitations de sa ville natale : celui qui prononce le discours, le grand archidiacre de Metz. C'est Bossuet...

On va entendre comment Louis XIV, lui-même, dans le document de circonstance, résumait la carrière et les qualités du nouveau maréchal, après avoir évoqué ses succès à Liége puis la prise de Stenay : "Ledit marquis de FABERT ayant, en cette entreprise ainsi qu'en plusieurs autres sièges, combat, batailles, commandements de places et de troupes, négociations, gouvernement de peuples et autres emplois et occasions de conséquence, donné des preuve considérables d'une grande capacité pour les affaires politiques et militaires, d'une connaissance universelle d'une vigilance extraordinaire et pourvoyant à tout, d'une diligence infatigable, agissant en tous lieux par lui-même, d'une prudence et expérience consommée et d'une générosité et valeur, d'une fidélité et affection inviolable à notre service et pour tout ce qui est de la gloire et de la grandeur de cet Etat, qu'il a particulièrement témoignées durant les derniers troubles du royaume, et toutes les qualités recommandables qui peuvent être requises pour l'administration des premières charges". Une distinction toutefois traduisait en ces temps la plus haute faveur : le cordon bleu du Saint-Esprit. Il fut décerné, le 3 décembre 1661, à FABERT, qui osa en faire retour au Roi, estimant ne pas remplir les conditions statutaires d'ancienneté dans la noblesse... Les deux hommes étaient dignes l'un de l'autre, et, devant "ce rare exemple de probité", Louis XIV su dire : "Je le regarde comme un ornement de mon règnent".

Or, FABERT, veuf depuis le début de cette même année, avait vu s'accuser chez lui, la nourrissant de sa douleur, sa disposition foncière à l'austérité et aux ouvres sublimes. Claude de Clévant avait été pour lui très exactement la compagne rêvée : ne les avait-on pas vus lutter d'émulation pour développer la prospérité de Sedan, FABERT activant les fabrications de bergerie et de draperie, sa femme stimulant les "passementiers" artisans d'une dentelle bientôt renommée presque à l'égal de celle d'Alençon ?

Il se mit, sitôt acquise, en 1659 la Paix des Pyrénées, à caresser un projet de croisade contre les Turcs, qui avaient alors atteint l'Adriatique : "ils nous ont osté tout l'Orient et le Midi. Ils nous viennent chercher dans l'Occident. S'ils passent la Grèce et la Hongrie, qui sont à présent leurs limites contre nous, jugez ou ils seront et ce qui restera de chrétiens pour leur faire barrière... Je crois qu'on ne saurait trop ménager les temps qu'on les peut reculer, ou du moins leur faire voir de si grandes oppositions à des progrès contre nous qu'ils jettent ailleurs leurs pensées''.

Frottons-nous les yeux : les transes ou nous a mis le souci de l'Occident, et que nous avions cru si propres à notre époque, elles ont tourmenté FABERT sur son déclin, et d'ailleurs "Monsieur Vincent'' avec lui.

FABERT ne devait pas beaucoup survivre à la Maréchale.

Le 10 mai 1662 il est atteint de pneumonie, et dès le 16 il réclame lui-même les derniers sacrements. Un seul regret : celui de n'avoir pas mené à bien, en cette ville de Sedan ou la mort vient le prendre, la totale réconciliation des protestants auxquels il a porté tant d'intérêt ; il convoque leurs ministres à son chevet et surmonte ses suffocations pour les haranguer trois quarts d'heure.

Le lendemain, mettant à profit un moment de répit, il se leva pour vaquer encore à ses affaires, répliquant tranquillement à ceux qui l'en félicitaient qu'il se croyait pourtant "sur le point de sortir de cette galère". Sur quoi, repris de sa fièvre et de son oppression, il regagna son lit : "Je touche à ma dernière fin - dit-il - laissez-moi me recueillir pour ne plus penser qu'à rendre mon esprit à mon créateur". Il réclama encore son livre de prières et ses lunettes ; ce furent ses dernières paroles. On le trouva mort quelques instants plus tard, les lunette marquant le psaume "Miserere mei...''

Le Maréchal FABERT avait fini comme il en avait souvent exprimé le désir : sans témoins pleurant et criant, sans donner la comédie à personne''.

S. FABERT.
D'aprés la biographie de Paul Renaudin de 1933.

La statue du Maréchal FABERT.
place d'Armes à Metz.